Racontée par Jacques Perrier, conservateur du musée.
1958
Je vois le jour alors que mon père, Charles Perrier, mécanicien en machines à écrire, ouvre un atelier indépendant.
Pendant mon enfance, j’aime jouer près de lui, le regardant démonter des machines avant de l’imiter. J’ai dû passer l’essentiel de mes vacances scolaires dans son atelier, d’abord à bricoler, puis à me rendre utile.
1958 voit aussi la commercialisation d'une machine révolutionnaire, l'Hermès 3000, qui demeure iconique 60 ans plus tard, grâce notamment à Tom Hanks.
Début des années 1970
Aux côtés de mon père, j’acquiers de nouvelles compétences hors-atelier, en assurant par ex. les services d’entretien dans de grandes entreprises régionales, telles la Tour Edipresse ou l'Ecole Hotelière.
En 1973, je commence mon apprentissage chez Fonjallaz & Oetiker, sur les traces directes de mon père. En effet, mon superviseur n’est autre que Monsieur Roger Goy, son collègue trente ans plus tôt.
Fin des années 1970
Les technologies digitales s’implantent dans les bureaux. Embauché par mon père après mon apprentissage, je l’assiste tout en actualisant ma formation par des cours d'électronique.
1987
Je reprends naturellement l’entreprise familiale lorsque mon père atteint l’âge de la retraite.
C'est l'époque où tout ce qui était analogique devient digital. Les disques en vinyl disparaissent au profit des CD, la photo argentique cède le pas à la numérique, et bien sûr, les machines à écrire mécaniques ne se vendent plus qu'au compte-gouttes.
Mais cette évolution ne convainc pas tout le monde. Nombre de personnes tiennent à conserver leurs machines mécaniques par crainte que les nouveaux modèles s'avèrent trop complexes ou malpratiques pour elles. Je vois donc affluer toujours plus de clients attachés à leurs anciens modèles, heureux de trouver encore une entreprise qui les répare et les entretient, alors que presque partout ailleurs, on leur suggère de les envoyer à la déchetterie.
Dans le magasin où je reçois les clients, mon père et moi exposons déjà depuis des années quelques machines anciennes remarquables par leur conception ou d'aspect insolite (machines japonaises, machines à braille…). Et la notion grandit chez mes clients que Perrier S.A. serait une "sorte de musée de la machine à écrire".
Une occasion se présente alors de concrétiser cette notion: Nous obtenons le bail d'un ancien atelier situé à l'Av. des Oiseaux, et c'est là que nous inaugurons le premier Musée de la Machine à Ecrire. Une partie des locaux sert d'atelier à mon père, pour y fignoler ses modèles de collection, et l'autre sert à une exposition permanente qui attire rapidement les premiers visiteurs amenés par le bouche-à-oreille.
Lorsqu’on nous demande pourquoi nous valorisons des objets qu’on traite ailleurs de "vieux coucous", notre réponse est prête: Alors que les nouveaux équipements fabriqués en masse suivent de plus en plus les mêmes standards, nous connaissons d'expérience la diversité des anciens modèles qu'on met au rebut. Diversité et inventivité des designs, des mécaniques et des claviers, que nous avons parfois contemplé avec respect dans l’atelier. Pourquoi laisser cette mosaïque de savoir-faire partir dans l'oubli?
Et c’est ainsi que je me mets à collecter tous azimuts des machines anciennes dont beaucoup de gens ne demandent d’ailleurs qu'à se débarrasser.
1994
L’entreprise et le Musée sont rassemblés à l'avenue de France 73. Dans ces nouveaux locaux, une aile abrite l'atelier et l’autre la collection. A nouveau unis au quotidien, mon père et moi retrouvons le plaisir de travailler côte à côte. Il répare et entretient les machines mécaniques tandis que je m’occupe des modèles électroniques et des imprimantes. A cette époque, le Musée présente près de 400 machines, et la recherche de nouvelles pièces ne faiblit pas.
1995
Première grande exposition en Belgique, au village du livre de Redu. C'est en voyant affluer plus de 1500 visiteurs en un mois que j’ai réalisé l'intérêt du public pour notre collection.
Un intérêt vite confirmé lors d’autres participations similaires: Salons des antiquaires, vitrines d’établissements bancaires et de centres commerciaux, ainsi que divers événements liés à la valorisation de l’écrit et la conservation du patrimoine.
Un "Musée-bis" est même installé pendant 5 ans au Village du Livre de Saint-Pierre-de-Clages (VS), portant au loin la renommée de ce patrimoine qui ne cesse de grandir.
2006
Mon père nous quitte pour d'autres cieux.
Nouveau déménagement du Musée dans un large sous-sol de l’Av. de France 20 offrant le volume nécessaire à la collection, qui compte alors plus de 800 machines et autres appareils de bureau.
Ce supplément d’espace est bientôt mis à profit pour des activités ludiques et festives: Soirées slam, concerts, lectures, pièces de théâtre, soirées jeux et autres occasions propres à accroître la notoriété du Musée.
Années 2010
Je deviens consultant et fournisseur de matériel d’époque pour plusieurs long-métrages, notamment "Populaire" (2011), avec Romain Duris. Pour ce film, le "casting" des machines à écrire devant figurer à l’écran a été effectué au Musée lui-même. Puis ma participation au tournage en tant que consultant et dépanneur a requis plus d’un mois de présence sur le plateau.
En 2016, une association est fondée afin de m’épauler dans la gestion du Musée et de le promouvoir auprès d’un public toujours plus nombreux, dont un nombre croissant de jeunes attirés par ce patrimoine riche en ingéniosité, savoir-faire et originalité.
2021
Le Musée quitte son sous-sol pour s’installer de plain-pied dans de magnifiques locaux, Rue des Terreaux 18bis. Il dispose actuellement de 1000 machines, dont 250 sont exposées.
Et la quête continue.
Les machines qui la constituent sont parfaitement entretenues par Jacques Perrier entouré de passionnés qu’il a formés.
Importante, la collection comprend plus de 1000 machines à écrire, 150 machines à calculer, de nombreux accessoires retraçant l’histoire du bureau, mais aussi de la documentation, des archives, des publicités, des prototypes et de l’outillage. Elle se caractérise par un riche patrimoine Paillard Hermes, le fleuron de l’industrie du Nord vaudois durant des décennies. Ouverte aux productions internationales, elle rassemble des machines mythiques des débuts de la production industrielle (fin du XIXe siècle), des machines qui ont marqué le XXe siècle par leur utilisation dans les bureaux ou à domicile et des exemplaires d’exception à l’exemple des machines à écrire en braille, fabriquées à Lausanne pour l’Asile des aveugles. Enfin, plusieurs pièces rappellent leurs célèbres utilisateurs: deux Swissa Junior ayant appartenu respectivement à Jean Anouilh et Egon Lauer, traducteur en russe de la correspondance de Georges Simenon ou l’Olympia SG1 de Madame Walt, championne de France de marathon dactylographique en 1956.
Un nouvel inventaire est engagé. Ce travail, orienté sur la documentation technique et visuelle des pièces, permettra de proposer sa consultation en ligne pour faciliter le travail des chercheurs et du public tout en simplifiant la gestion des prêts.
La machine à écrire est une pièce importante du patrimoine local. Elle atteste également des progrès techniques, mais aussi de l’histoire sociale du XXe siècle. L’arrivée de la machine à écrire dans les bureaux a marqué de manière significative l’évolution du travail des femmes en leur donnant l’opportunité, au début du siècle, d’accéder à un monde souvent réservé aux hommes. Jusqu’à l’arrivée de l’informatique, la secrétaire était un pilier central de la vie de bureau, comme l’attestait encore récemment la série Mad Men.
Musée de la Machine à Ecrire
Rue des Terreaux 18b
1003 Lausanne
+41 79 229 13 03
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